Synopsis
En quoi les dispositifs immersifs de l’ère numérique permettent-ils d’augmenter les possibilités d’immerger le spectateur au cœur de l’image ? Voilà la question qui a rythmé l'écriture de ce texte.
Ce mémoire a été rédigé lors de mes études pour obtenir mon DNSEP en Design Graphique et Multimédia. Il est une réflexion sur le rapport que l'on a avec les nouvelles technologies, en particulier sur le rôle qu'ils jouent dans la création d'expériences immersives. Cet écrit se base sur des projets divers allant de l'image fixe jusqu'au jeu vidéo en passant par des œuvres cinématographique.
Remerciements
Avant toute chose, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à ma Directrice de mémoire Madame Corinne Melin, enseignante à l’École Supérieure d’Art et de Design de Pau, sans qui ce mémoire n’aurait pas pu prendre forme. Je la remercie grandement de m’avoir encadré, orienté, aidé et conseillé tout au long de l’écriture de ce document. Je la remercie aussi pour sa patience ainsi que pour le temps qu’elle a consacré aux multiples retours et corrections effectués. Pour finir, je la remercie pour sa gentillesse, sa bienveillance et son soutien constant durant ces derniers mois. Je remercie également toute l’équipe pédagogique de l’École Supérieure d’Art et de Design de Pau, tous les intervenants professionnels et toutes les personnes qui par leurs paroles, leurs écrits, leurs conseils et leurs critiques ont guidé mes réflexions. Évidemment j’adresse mes plus sincères remerciements à ma maman Christine pour son soutien tout au long de ma scolarité et pour ce qu’elle a fait afin de me permettre d’en arriver là. Je tiens également à remercier mes ami(e)s Sophie, Jeanne, Arthur et Clément pour leur amitié, leur soutien, leur encouragement, leurs conseils et leurs avis qui m’ont permis de poursuivre dans ces études et de mener à bien la rédaction de ce document.
À tous ces personnes, je présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude.
Crédits
Liste des projets présents dans la vidéo d'arrière plan:
DataGate par le studio Ouchhh,
Infinite Space par Refik Anadol,
Archive Dreaming par Refik Anadol,
Noumenon par Can Büyükberber,
The Infinite Crystal Universe par teamlab,
The day we left field par Tundra
Liens externes
Mémoire rédigé par :
Mémoire de DNSEP
par Christophe Léon
L'immersion dans l'image
à l'ère numérique
Introduction
Quand on parle d’immersion dans l’image, on a généralement la vision d’un dispositif technologique qui nous propose la découverte d’un univers en nous plongeant concrètement dans celui-ci. Il est vrai que notre entrée dans l’ère numérique est liée pour beaucoup à la représentation que l’on se fait de l’immersion.
On parle d’ère numérique ou de révolution numérique à cause du bouleversement profond qu’ont connu les sociétés par l’essor des techniques, principalement celles de l’informatique et d’Internet. Nous utilisons de nombreux appareils numériques au quotidien, rendant difficile le développement de nos sociétés en leur absence, télévision, radiodiffusion, ordinateur, console de jeu, smartphone, etc., et ces objets ne cessent d’être de plus en plus perfectionnés et performants. Cette évolution a donné naissance à de nouveaux procédés et certains médias s’en sont servis afin de parfaire leur technique immersive. C’est le cas du cinéma qui est né avec « le rêve de créer un espace de nature tridimensionnelle » Citation d’Andrea Pinotti, professeur d’Esthétique, de théorie de la représentation et de l’image, lors d’un échange avec Dominique Moulon sur la thématique de l’image et de l’émergence de l’immersion. dans le but de plonger le spectateur au cœur de l’image et de l’univers imaginé. Même si de nombreux exemples et anecdotes Une anecdote célèbre est celle de la projection du film Arrivée d’un train à la Ciotat des Frères Lumière, une sensation de malaise a frappé les spectateurs à cause de la locomotive et de la crédibilité de sa prise de vue. permettent de montrer la puissance immersive du 7e art, l’image en mouvement n’est pas le seul moyen disponible pour offrir une immersion au spectateur. En effet, si l’entrée dans l’ère numérique est relativement récente, le concept d’immersion, quant à lui, a pris racine dans des temps plus anciens. Par exemple, la perspective centrale, mise au point au xve siècle, a permis d’apporter de la profondeur aux images produites, qui étaient jusque-là plates ; permettant désormais de créer l’illusion d’un espace tridimensionnel. Le jeu vidéo par exemple s’inspire grandement de la perspective linéaire pour donner forme à leur univers.
Outre la perspective, la manière de prendre en compte le spectateur trouve aussi ses racines dans une histoire des arts. L’analyse de Michael Fried dans son ouvrage La place du spectateur. Esthétique et origines de la peinture moderne, publié en 1990, en rend compte. L’auteur démontre, en s’appuyant notamment sur Greuze, Manet, ou encore Chardin, que de nombreux peintres du XVIIIe au milieu du XIXe feignent d’ignorer, dans la structuration de leur tableau, le fait qu’il est regardé. Ils peignent à cet effet des personnages absorbés par, ou dans, une occupation, une pensée, une émotion et peu soucieux du fait qu’ils soient vus ou non. Paradoxalement, cette feinte encourage l’immersion du spectateur dans l’illusion peinte.
« Il faut qu’il [l’artiste] cherche un moyen de neutraliser, voire de nier la présence du spectateur pour que puisse s’établir la fiction qu’il n’y a, en face du tableau, personne » (p. 20).
De ce fait, l’action représentée devient légitime, qu’elle soit observée ou non. Mais au-delà de ça, le fait de « nier la présence du spectateur » vis-à-vis de l’action en cours, donne à cette dernière du crédit. Cette exclusion rend le spectateur curieux et le pousse à s’investir dans ce qu’il observe. Finalement, si d’habitude c’est l’œuvre picturale qui s’avance vers nous, ici, c’est au spectateur d’aller vers la représentation picturale.
La composante visuelle a été, pendant longtemps, l’outil principal que les créateurs possédaient afin d’intensifier l’immersion du spectateur. Aujourd’hui, bien que la vision reste le sens le plus sollicité Selon Morton Leonard Heilig, un des pionniers de la réalité virtuelle, les sens accaparent l’attention selon cette échelle : la vue 70%, l’ouïe 20%, l’odorat 5%, le toucher 4%, le goût 1%. , l’attrait pour la multisensorialité fait qu’il est difficile de dissocier ce sens des autres. C’est en cela que le cinéma a un rôle important en tant qu’il s’apparente à un dispositif immersif. Par ailleurs, c’est dans cette même optique et avec l’envie de repousser les limites de l’immersion que deux technologies se sont développées : la Réalité augmentée (RA) et la Réalité virtuelle (RV). Aujourd’hui, ces dispositifs se démocratisent et deviennent de plus en plus accessibles au grand public, faisant d’elles les technologies phares de ces dernières années. On peut donc alors se demander en quoi les dispositifs immersifs de l’ère numérique permettent-ils d’augmenter les possibilités d’immerger le spectateur au cœur de l’image ?
Si la révolution numérique nous permet d’intégrer la notion de multisensorialité plus aisément au sein des projets, l’interactivité se trouve elle aussi de plus en plus présente. Encore une fois, c’est le développement technologique et informatique qui permet l’invention de dispositifs olfactif, gustatif ou haptiques L’haptique, du grec haptomai qui signifie « je touche », désigne la science du toucher, par analogie avec l’acoustique ou l’optique. cf. Wikipédia , bien que cela soit plus difficile à mettre en place. Le cinéma, la RA et la RV expérimentent continuellement l’utilisation de différents modes d’expression permettant d’intensifier la sensation d’immersion au sein de l’image. Évidemment, l’utilisation à elle seule de ces technologies ne suffit pas à faire plonger dans un univers, ce ne sont que des outils parmi d’autres dont il faut savoir manier les subtilités. Néanmoins, chacun de ces trois dispositifs permet de proposer un genre d’expérience immersive qui lui est propre. Je montrerai que le cinéma offre une immersion distancielle du fait de l’absence d’interaction physique dans la diffusion de l’œuvre. La RA, quant à elle, propose une immersion partielle, du fait qu’il est seulement possible d’interagir avec certains éléments afin d’augmenter la réalité d’une dimension virtuelle (nous ne sommes pas totalement projetés dans un monde iconique). Enfin, la RV propose une immersion totale, tout du moins, c’est ce vers quoi elle tend : la substitution totale de notre réalité physique établie jusque là. Notre évolution est toujours portée par des technologies innovantes et nous sommes peut‑être bien en présence de celles qui nous ont transformés et de celles qui nous feront évoluer à nouveau.
Immersion dans l'image
(partie I)1.1. Mise au point terminologique
Dans notre cas, la période et les dispositifs qui vont être abordés, nous imposent certaines notions qui se doivent d’être correctement définies pour comprendre la réflexion qui sera exposée par la suite. Par correct, on entend non pas la définition convenue de la notion, mais plutôt la manière dont il faut l’utiliser ici.
1.1.1. Immersion
Il existe de nombreux sens au terme d’immersion Immerger, (du latin Immergere), verbe transitif du 1er groupe, dérive de mergere qui signifie enfouir/plonger dans. , mais n’oublions pas qu’ici, il est question d’ère numérique et le progrès technique de ces dernières décennies est tel, que le terme d’immersion s’est très répandu dans le milieu de l’informatique, de la réalité virtuelle et des jeux vidéo. La définition de ce dernier s’est donc adaptée en conséquence et son caractère numérique lui a conféré une nouvelle connotation. Staffan Björk et Jussi Holopainen Staffan Björk est professeur en Design d’interaction et Games Researcher à l’université de Gothenburg. Jussi Holopainen, lui, est chercheur scientifique au Nokia Research center en Finlande. ont publié en 2005 l’ouvrage Patterns in Game Design. Tous deux intéressés par le monde du jeu, ils se sont penchés sur la question des modèles de conception de jeux vidéo et sur l’immersion produite par ces derniers. Finalement, ils en sont arrivés à la conclusion que l’immersion, qu’elle soit liée ou non au jeu vidéo, peut être distinguée en six catégories :
- L’immersion sensori-motrice qui est expérimentée lorsque l’utilisateur est amené à prendre des décisions rapides.
- L’immersion cognitive qui est expérimentée lorsque l’expérience pousse l’utilisateur à s’impliquer sur le long terme dans l’expérience vécue.
- L’immersion émotionnelle qui est expérimentée lorsque l’on s’investit dans une histoire.
- L’immersion spatiale qui est expérimentée lorsque l’utilisateur a l’impression de se trouver réellement dans le monde virtuel. Celui-ci doit être convaincant au point de troubler la frontière entre les mondes réel et virtuel.
- L’immersion psychologique qui est expérimentée lorsque l’utilisateur n’arrive plus à faire la différence entre le monde virtuel et la vie réelle.
- L’immersion sensorielle qui est expérimentée lorsque l’utilisateur entre dans un environnement en trois dimensions tout en étant stimulé physiquement par celui‑ci.
Chacune des différentes catégories d’immersions possède ses propres caractéristiques qu’il est plus ou moins possible d’inclure lors de la réalisation d’une expérience immersive. Mais c’est cette diversification qui permet de concevoir des sensations toujours plus intenses.
1.1.2. Réalité
La réalité est un concept abstrait qui est défini comme étant « ce qui est réel, ce qui existe effectivement », selon le dictionnaire Le Robert. Cependant, la définition reste encore floue et peut-être devrait-on plutôt parler de réalité physique, c’est-à-dire celle qui nous entoure et que l’on peut palper. Il serait donc alors plus évident de la mettre en confrontation avec ce qu’on appelle réalité virtuelle. Ici, le terme de réalité virtuelle ne fait pas référence au dispositif RV mais plutôt au concept même de virtualité, c’est-à-dire un environnement illusoire et fictif qui possède un espace et un temps qui lui est propre, bien que parfois, la limite entre les deux peut être peu perceptible.
1.1.3. Augmentation
L’augmentation signifie l’enrichissement par un nouvel élément, qu’il soit physique ou virtuel, d’un objet pré-existant. Ce terme n’est pas seulement utilisé pour qualifier une fonction des technologies. Les livres pop-up, par exemple, représentent une forme d’augmentation, on vient proposer un objet qui se développe dans l’espace pour plonger le spectateur au cœur du visuel. Les cartes de vœux musicales qui proposent de diffuser un contenu audio une fois ouverte, offrent une augmentation sonore à l’objet initial. Et évidemment, l’augmentation numérique, que l’on peut expérimenter via les dispositifs RA, permet d’enrichir notre environnement en superposant des objets virtuels à notre réalité physique.
1.1.4. Interaction
On peut définir deux types d’interactions : l’interaction mentale et l’interaction physique. Si l’une sollicite l’esprit, l’autre agit sur le corps. On pourrait dans ce cas aisément associer la première au principe de contemplation et l’autre à l’implication directe de l’utilisateur (que ce soit via son corps ou par le biais de dispositifs tiers tels que des manettes ou encore des caméras).
1.1.5. Cadre
Étymologiquement, le mot cadre renvoie à l’idée d’une délimitation qui viendrait entourer un élément pour en définir les frontières. On peut parler de cadre dans le cas d’un objet physique (le cadre d’un tableau par exemple), mais aussi dans un contexte plus abstrait (un cadre de vie). Ce terme possède cette adaptabilité intéressante en fonction du contexte dans lequel il est employé. Pourtant, bien qu’il impose des limites, il ne soustrait pas pour autant ce qui existe à l’extérieur de celles-ci. Cela sous-entend simplement qu’à un instant t,
dans une temporalité et un espace défini, la vision qu’on a de ce qui est présent au sein de ce cadre est ce qui nous est donné de voir. Cependant, libre à nous, si nous en avons la possibilité, d’explorer ce qui évolue en dehors des limites du cadre
On peut d’ailleurs mettre ce terme en confrontation avec la notion d’écran qui est souvent utilisée. Mais le mot écran installe une trop grande distance entre le spectateur et l’objet à voir. La notion d’écran, de l’ancien français escran, est similaire au terme barrière qui symbolise alors un obstacle.
principal.
1.2. L’image immersive, de la conquête du relief à la conquête du temps
Quand on parle d’image immersive, on peut comprendre par là la création d’un univers immergeant convaincant et crédible. Afin d’approfondir le degré d’immersion de ce dernier, il convient de travailler certains de ses caractères et de les exploiter au mieux.

Sachant que le sens de la vue prime pour l’homme, l’univers immergeant doit être avant tout visuellement acceptable. Une des voies consiste en la recréation d’images le plus proche possible formellement de notre réalité physique. Pour ce faire, il a mis à jour un moyen précieux : la perspective centrale. Disons que malgré ses défauts, elle est la technique de représentation qui produit les images les plus proches de la réalité physique. Cependant, de telles images ne peuvent que donner l’illusion de la profondeur sans jamais donner la sensation du relief. Il faut donc attendre l’avènement de la photographie et la découverte de l’anaglyphe
Un anaglyphe est une image imprimée pour être vue en relief, à l’aide de deux filtres de couleurs différentes disposés devant chacun des yeux de l’observateur.
Maintenant que l’univers est visuellement acceptable, il reste une composante essentielle qu’il convient d’octroyer à l’univers immergeant : la temporalité. En effet la peinture, bien qu’elle ait tenté d’y pallier, que ce soit par la multiplication de scènes (insérées ou non dans le même tableau), ou bien par la représentation de scènes vivantes imprégnées de dynamisme (comme on peut le voir dans l’art baroque), présente quoi qu’il arrive des temps figés. L’idée est alors de passer du fixe au dynamique en proposant un univers qui se déploie dans le temps. C’est alors que le cinéma apparaît, apportant avec lui des images en mouvement et permettant ainsi à l’univers de l’image de devenir cinétique. Désormais, le cinéma comporte lui aussi des ressources qu’il se doit d’exploiter pour créer des expériences immersives tout en déployant un univers immergeant convaincant et crédible.
Néanmoins, même si le cinéma offre de nouvelles possibilités en termes d’immersion, il persiste tout de même une distance entre le temps perçu et le temps vécu par le spectateur. L’immersion totale tendra plutôt vers ce qu’on pourrait appeler « temps réel », c’est-à-dire un temps où celui de l’image et celui du spectateur confluent vers une même instantanéité. Dans le but d’y arriver, l’interactivité semble peu à peu prendre de l’ampleur au sein des expériences immersives.
1.3. L’immersion, un imaginaire collectif construit sur la fiction
Notre imaginaire collectif est un imaginaire qui s’est en partie construit sur la science-fiction, et il faut voir cette dernière comme un moyen de lire notre monde. Elle se veut être un genre anticipateur des multiples envies ou peurs représentatives des mœurs d’une époque. Mais alors, comment est perçue l’immersion en regard des dispositifs cinéma, RA et RV et comment ces derniers sont-ils appréhendés ?
Au cours de cette partie, la frontière entre le réel et la fiction sera volontairement laissée floue et la fusion entre ces deux éléments sera parfois faite sans nuance. L’idée est de réellement prendre en compte le côté anticipateur de la science-fiction et de lire notre réalité à l’appui de ces imaginaires.
En 1984, William Gibson publie son ouvrage Neuromancien (titre original : Neuromancer). Pour la première fois, le terme de cyberespace voit le jour, une notion équivalente à ce que nous définissons comme réalité virtuelle. Neuromancien présente une dystopie de type cyberpunk « Le cyberpunk est un genre de la science-fiction très apparenté à la dystopie et à la hard science-fiction. Il met souvent en scène un futur proche, avec une société technologiquement avancée (notamment pour les technologies de l’information et la cybernétique). » cf. Wikipédia. , où le monde est gouverné par des multinationales et où règne le capitalisme poussé à son paroxysme. Henry Dorsett Case est un hacker qui sillonne la Matrice. Il décide un jour de doubler son employeur, qui, en représailles, lui injecte une neurotoxine, détruisant ainsi une partie de son système nerveux, l’empêchant de se connecter à la Matrice. Un jour, deux individus lui proposent de lui redonner accès à la Matrice en échange d’une mission : pénétrer le système informatique d’une gigantesque multinationale, la Tessier-Ashpool SA, ce qui n’est évidemment pas sans risque. Dans cet univers, tous les pirates informatiques se connectent à la Matrice grâce à leur console, reliés via des électrodes fixées sur leur crâne. Cela leur permet d’avoir une perception visuelle et sensorielle des données numériques qui composent le réseau. Le dispositif fait en sorte que les sensations perturbent l’utilisateur au point de ne plus différencier le virtuel du réel et c’est cette crédibilité du monde imaginaire et des sensations ressenties qui intensifie le sentiment d’immersion. La possibilité d’évoluer dans un monde où tout est possible mentalement sans aucune répercussion physique fait de la Matrice un nirvana, voire une drogue, car celui‑ci devient alors un refuge à la réalité. Très tôt, avant même que les dispositifs RV que nous connaissons actuellement n’apparaissent, il y avait une vision dystopique de cette technologie. Une peur de cette dernière ? Ou bien peut‑être une peur de l’immersion totale ?
« Case bascula dans la matrice puis retira de son front les trodes. Il était trempé de sueur. Il s’essuya avec une serviette-éponge, but une gorgée de flotte au bidon de vélo posé près de l’Hosaka puis vérifia le plan de la librairie affiché sur l’écran. […] De la routine à présent : trodes, branche, saute. » (Neuromancien, William Gibson, 1984, p. 81)
Quoi qu’il en soit, cet ouvrage est considéré comme le roman phare du genre cyberpunk, celui qui a inspiré bon nombre d’œuvres par la suite, et dont la thématique de l’immersion reste profondément ancrée.


On peut donner la forme que l’on veut à la Matrice, un environnement qui soit fictif, comme parfaitement réaliste, tant qu’il reste crédible, l’immersion est totale. Il est vrai que le monde virtuel possède beaucoup d’avantage car il peut permettre de s’affranchir de nombreuses règles de notre réalité. Le sentiment de liberté et de contrôle sur l’environnement nous pousse à évoluer dans cet univers, à nous impliquer dedans, à interagir avec, au risque de nous perturber, tant sur le plan mental que sur le plan physique. La réalité virtuelle est vue ici comme un espace capable d’agir sur la personnalité ou plutôt, le film se place comme anticipateur de cette possibilité dans notre réalité. Bien que le tout soit vu comme une dystopie, on discerne ici des envies et des espoirs d’une évolution bénéfique de cette technologie et de l’immersion.


Néanmoins, même si la dangerosité du dispositif RV est ce qui est le plus mis en avant, un autre aspect est développé. C’est notamment visible lorsque les protagonistes arrivent à terminer le jeu pour revenir dans la vie réelle. Les relations sociales qu’ils ont développées dans le jeu persistent dans la réalité physique (que ce soit l’amitié ou l’amour). L’obligation de faire face à la mort pour être enfin libéré du monde virtuel leur a permis de gagner en assurance, en motivation et en détermination afin d’accomplir ce qu’ils désirent dans leur vie. Le monde virtuel comme vecteur de socialisation est un phénomène que l’on peut déjà observer au sein de notre société actuelle, notamment avec les MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Player Game), qui sont souvent des sujets d’études pour ces mêmes raisons. Ici aussi, à l’instar de Matrix, la série se veut être anticipatrice de multiples évolutions techniques amenant à une immersion totale via un dispositif créant un pont entre le virtuel et le réel.

De l'immersion cinématographique à l'immersion totale ?
(partie II)« Le cinéma, c’est juste la question de savoir ce qui est dans le cadre et ce qui est en dehors. »
– Martin Scorcese
Autant fascinante qu’effrayante, l’idée d’immerger le spectateur a su s’adapter à tout type de dispositif. Chacun d’eux possède ses propres techniques permettant d’intensifier la sensation d’immersion. L’idée est, au cours de cette deuxième phase d’analyse, de réaliser un focus sur les trois dispositifs immersifs que sont le cinéma, la RA et la RV afin de comprendre en quoi ces derniers sont immersifs, et comment ils augmentent la sensation d’immersion au cœur de l’image. Cela permettra de mieux cerner les affirmations énoncées dans la première phase d’analyse.
2.1. Chronique de l’immersion cinématographique




Au cours du XXe siècle, les réalisateurs n’ont eu de cesse d’expérimenter des formes diverses afin de développer un large éventail d’outils pour servir le principe d’immersion. Il est possible de classer ces procédés en trois catégories distinctes : spatial, kinésique et audiovisuel. Chacun de ces procédés est composé de multiples techniques comme la prise de vue, l’échelle des plans, le son, le montage, la projection et bien d’autres. Ces techniques étant elles-mêmes composées de spécificités, il n’est pas l’objectif de détailler tout cela. L’idée est simplement d’exposer grossièrement la richesse de la grammaire cinématographique Pour les plus curieux, je vous conseille le livre Clés et codes de l’image de Baticle Yveline. et des outils à disposition des réalisateurs afin d’intensifier l’immersion du public. Évidemment, au cinéma, le scénario joue un rôle important dans l’immersion du spectateur, par la force d’absorption qu’il va exercer sur lui, mais les images, le son, ou encore le rôle que l’on donne au public, ont tout autant d’importance.
Prenons par exemple la technique de la caméra subjective ou POV (Point of View) : on propose au public d’adopter le regard d’un des personnages de l’action le temps d’un ou de quelques plans.La dame du lac, un film de Robert Montgomery, réalisé en 1947, est le premier film à avoir été quasi intégralement tourné en caméra subjective. Un film noir qui offre au spectateur le rôle de protagoniste. L’idée n’est pas d’exclure le public et de le laisser contempler l’œuvre, mais de lui faire endosser le rôle de détective et de réfléchir activement
Pour l’anecdote, la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) sortit le film accompagné de ce slogan : « Vous et Robert Montgomery résolvez un crime ensemble ! ».
. Par la suite, un nouveau genre cinématographique utilisant la POV est apparu : le Found Footage.

Bien que le corps d’un film soit important afin d’immerger le spectateur, n’oublions pas que son introduction reste tout autant primordiale. Ce sont les premières secondes de visionnage qui vont donner le ton du film et qui va nous conditionner à son ambiance. Le but étant de nous plonger dans l’univers instantanément. Alien, film réalisé en 1979 par Ridley Scott possède un générique d’ouverture intéressant. D’une durée de 2 min, il rend compte du genre science fiction horrifique par différents moyens : un lent panoramique sur fond d’espace étoilé surplombé d’une bande son au tempo lent, ponctuée de percussions avec un effet delay et de violons dissonants, ainsi qu’une mélodie lente qui se répète tout du long. Au centre de l’écran se succèdent les noms de tous les participants, écrits en blanc avec une police de caractères linéale, c’est-à-dire sans empattements. Le texte apparaît avec un fade-in et disparaît avec un fade-out deux fois plus long, donnant l’impression de s’évaporer dans le vide sidéral. Puis, dans la partie supérieure de l’écran, le titre apparaît progressivement. Écrit en Helvetica (police de caractères linéale dessinée par Max Miedinger en 1957), les caractères typographiques sont décomposés et se révèlent les uns après les autres de manière symétrique toutes les deux mesures musicales. Ici, on observe donc un générique d’ouverture dont le maître mot est la lenteur. C’est une ligne directrice importante qui a été pensé afin d’installer une tension chez le spectateur en l’absorbant doucement dans l’univers.


Bien que chacun de ces films possède ses propres propriétés immersives, la manière de les visionner reste la même : l’immersion reste, quoi qu’il arrive distancielle. Avatar, quant à lui, révolutionne la façon de visionner un film au cinéma. Réalisé par James Cameron en 2009, Avatar possède la particularité d’avoir été pensé et tourné pour être projeté en relief. Si la 3D est une technique vieille d’une cinquantaine d’années, c’est dans les années 2000 qu’elle gagne en qualité. Avatar ne brille pas par sa nouveauté scénaristique, mais par la mise en valeur des atouts plastiques de son univers. Cameron joue avec le regard du spectateur et utilise avec finesse cette technologie. Laissant l’image plate lors d’environnement familier, c’est quand la planète Pandora apparaît à l’écran que certains détails de l’image viennent se déployer dans un nouvel espace perceptif, un espace situé entre l’écran et la réalité physique, et ce, dans le but de creuser l’effet de profondeur par le jaillissement de certains éléments visuels hors de l’écran et du cadre. C’est cette alternance qui donne du cachet à l’œuvre et qui participe à l’immersion dans l’image du public. L’idée est de donner l’illusion au spectateur qu’il découvre lui-même ce nouveau monde, non pas en l’absorbant entièrement dans ce dernier, mais plutôt en lui offrant la possibilité d’avoir un univers fictif qui se déploie autour de lui Alors qu’Avatar 2 est prévu pour décembre 2021, James Cameron annonce qu’il veut, avec cette suite, révolutionner à nouveau la 3D. C’est lors du Vivid Event, conférence australienne dédiée aux nouvelles technologies, que le réalisateur s’est exprimé sur ses aspirations futures. L’objectif est de créer des écrans de projection encore plus réfléchissants et l’élaboration d’un nouveau système de projection laser permettant de profiter de la 3D sans avoir besoin de porter des lunettes adaptées. .

2.2. Chronique de la Réalité Augmentée


Tout comme le cinéma, la RA possède ses propres méthodes immersives. La confluence des temps est un concept qui a été énoncé précédemment. L’interactivité est donc une composante essentielle de la technologie qui donne accès à ce « temps réel » tant convoité. Ce dernier donne l’illusion au spectateur, qui dans ce cas là n’est plus simplement observateur mais devient acteur, d’avoir le pouvoir de modifier l’environnement dans lequel il évolue. En ce sens, chacun obtient la possibilité de vivre une expérience unique qu’il a lui-même construite. Outre le fait que la technologie donne accès au « temps réel », c’est avant tout par les appareils que passe l’interaction. Et ces derniers possèdent d’autres qualités qui contribuent au potentiel immersif de la technologie.


Les développeurs, comme on vient de le voir, possèdent de multiples outils pour créer des expériences toujours plus immersives, que ce soit par l’utilisation de contenus audiovisuels ou bien en utilisant directement les capacités technologiques de l’appareil, le tout dans le but de créer une interaction physique. Utiliser notre environnement familier comme terrain d’exploration pour une histoire est un procédé intéressant qui transpose notre réalité physique à l’intérieur d’un scénario, qui lui, est fictif.
Au final, que peut-on retenir de cette technologie ? Bien qu’elle explore continuellement de nouvelles manières d’immerger l’utilisateur au cœur de l’image qu’elle propose, les développeurs ont surtout conscience des limites auxquelles elle fait face et adaptent leurs applications en conséquence. Si la multisensorialité totale n’est toujours pas présente, on s’en rapproche tout de même de plus en plus. L’interaction et l’implication physique sont des éléments primordiaux qui servent le principe d’immersion et malgré le fait que l’univers ne soit pas complètement virtuel, c’est cette alternance avec le réel qui intensifie ici la sensation d’immersion. Maintenant, reste à exploiter notre réalité et les règles qui la constituent afin de faire correspondre le tout aux différentes expériences imaginées, tout en ayant conscience des limites physiques auxquelles chaque utilisateur fera face.
2.3. Chronique de la Réalité Virtuelle
« Virtuel ne signifie pas fictif. La réalité virtuelle n’est pas un objet réel, pourtant, on peut dire qu’elle existe en tant qu’effet, ou bien qu’il s’agit d’une réalité apparaissant sous forme de résultat. »
– Michitake Hirose
Si la réalité virtuelle semble être une technologie relativement nouvelle en raison de son actuelle accessibilité croissante, c’est dans les années 60 qu’elle commence réellement à prendre forme. En 1960, Morton Heilig dépose le brevet du Sensorama, un dispositif immersif qui permet de plonger les spectateurs dans les films en trompant leurs sens, dans le but de donner une nouvelle envergure à l’expérience cinématographique. Bien que le projet ne fut jamais abouti de son vivant, il aura tout de même posé les jalons de la recherche de l’expérience multisensorielle et immersive. Comme énoncé précédemment, Ivan Sutherland invente en 1968 l’Épée de Damoclès, un objet défini par la suite comme étant l’ancêtre des casques de réalité virtuelle et augmentée. Ayant vite décelé le potentiel de la technologie, l’industrie aéronautique et l’armée se penchent alors sur le développement de dispositifs RV. En 1982, Thomas Furness met au point le Super Cockpit, un simulateur de vol immersif qui a pour objectif d’entraîner les futurs pilotes. Si la plupart des projets se concentraient essentiellement sur l’aspect visuel et sonore, d’autres ont tenté de bousculer cette tendance. La même année est donc apparue le DataGlove, un gant, développé par Thomas Zimmerman, capable de retranscrire en temps réel les mouvements de la main dans l’univers virtuel grâce à des capteurs. Attiré par les possibilités technologiques grandissantes en matière de RV, la NASA développe le view (Virtual Interface Environment Workstation), un casque compatible avec le DataGlove qui sera utilisé pour l’entraînement des astronautes. En revanche, si la technologie était populaire chez les professionnels, elle était inexistante pour le grand public. Le secteur du jeu vidéo a été le premier à vouloir la commercialiser à une plus large audience. Cependant, tout n’a été qu’une suite d’échecs commerciaux pour eux, que ce soit avec le PowerGlove de Nintendo en 1989, le Sega VR en 1993, ou bien le Virtual Boy de 1995. Le projet RV est alors abandonné pendant un temps. Jusqu’en 2012 où la société Oculus annonce, lors de l’E3, le développement de l’Oculus Rift, un casque de réalité virtuelle qui offrira un second souffle à la réalité virtuelle. Suite à cette annonce, de nombreux fabricants se sont lancés eux aussi dans le développement de dispositifs RV comme Sony avec le PSVR pour la PS4, le Google Carboard de Google, Le Samsung Gear VR, ou encore le HTC Vive de HTC.
Au cours de cette évolution, les développeurs ont pu observer les possibilités et les limites de cette technologie dans le but de perfectionner, tant le dispositif en soi, que les applications et les expériences immersives imaginées. Ainsi, outre les possibilités offertes par la technologie, les différentes expériences s’inspirent de tous les médias possibles et leur empruntent divers procédés immersifs. Force est de constater que la vision et l’ouïe restent les piliers de toute expérience, les principaux perfectionnements se feront dans ces domaines. à ce niveau là, c’est la précision dans la spatialisation du son et la sollicitation totale du champ de vision qui forment une des plus grandes force de la RV. Cette ségrégation effectuée avec la réalité physique par la sollicitation totale du champ de vision engendre ainsi la sensation de la réelle présence du corps dans l’image que l’utilisateur observe. Évidemment, tout comme la RA, la RV bénéficie du principe de « temps réel », qui permet ainsi à l’utilisateur d’être libre dans l’univers virtuel. Que ce soit par les actions qu’il réalise, l’exploration de l’environnement, la vision de celui-ci ou tout simplement par l’appréhension et le ressenti de ce dernier.




Finalement la RV, à l’instar du cinéma et de la RA, souffre du même problème en matière de multisensorialité. En revanche, même s’il est difficile à l’heure actuelle de stimuler concrètement tous nos sens, la RV possède un net avantage par rapport aux autres dispositifs. L’utilisation de la vue subjective quasi exclusive durant les expériences immersives, accentuée par la sollicitation totale de notre champ visuel, donne une profonde crédibilité aux images perçues. En ce sens, c’est plus l’imagination qui rentre en compte. L’idée étant de tromper notre cerveau en lui offrant des stimuli similaires à ce que l’on peut ressentir dans notre réalité physique.
2.4. Synthèse des trois dispositifs
En résumé, que peut-on retenir de ces trois dispositifs ? Tous trois nés de l’évolution technique qu’a connu notre société, c’est notre entrée dans l’ère numérique qui les a popularisés. Bien que l’on relate les prémices de leur existence il y a plusieurs décennies, ils sont encore bien loin à l’heure actuelle de leur forme finale. Qu’en est-il de l’immersion ? L’immersion, comme on l’a vu, a toujours été présente au cœur des œuvres réalisées au cours de notre histoire. C’est un principe qui a su s’adapter à tous médias, ou plutôt, ce sont les créateurs qui ont su adapter l’immersion à leurs médias. Néanmoins, il est indéniable que ces trois dispositifs font évoluer l’immersion en proposant des expériences variées à l’aide des outils à disposition. Les progrès technologiques ont fourni un large panel de possibilités permettant d’impliquer concrètement le spectateur au sein de l’image, que ce soit dès les premières secondes, avec des génériques d’ouverture intelligemment construits, comme on l’a vu pour le cinéma, ou bien à plus long terme via la plongée du corps et de l’esprit dans un monde complètement virtuel avec la RV.



Pour conclure, même si l’une des plus grandes avancées réside dans l’accès au « temps réel » avec l’interactivité, on est encore bien loin de l’immersion « totale » comme on pourrait l’entendre.
État des lieux de l'immersion technologique
(partie III)3.1. Les barrières de l’immersion technologique
Au final, que peut-on reprocher à ces technologies ? Elles constituent une avancée majeure dans notre société actuelle. Cependant, nous ne sommes encore qu’au stade embryonnaire de ce à quoi elles ressembleront dans le futur ainsi que de l’utilisation que nous en ferons et il est possible d’y voir les limites actuelles auxquelles elles font face tout comme les solutions envisagées pour pallier à leurs défauts.
3.1.1. Cinéma
Le cinéma est un média ancien qui a beaucoup évolué. Passant du noir et blanc à la couleur ou encore du muet au sonore, il y a toujours eu une volonté de créer une œuvre multisensorielle pour immerger le spectateur. Malgré tout, même si la vision et l’ouïe sont particulièrement sollicitées, il est plus difficile de stimuler de manière directe les autres sens. Bien que nous sachions créer l’illusion du goût, de l’odeur Si les édulcorants utilisés dans certains produits imitent le goût de denrées alimentaires, les diffuseurs de parfums imitent quant à eux l’odeur de certains produits. et du toucher, la mise en place de ces méthodes reste encore rare. Une exception est faite pour le toucher car le réalisateur a recours à ce qu’on appelle : « illusion haptique » L’illusion haptique consiste en une subtile combinaison entre le visuel et le son qui, par le montage, donne l’impression au spectateur de pouvoir ressentir physiquement la sensation perçue (comme un coup échangé durant une scène de combat.) , c’est-à-dire qu’il associe le son au visuel pour donner l’illusion du toucher . L’expérience multisensorielle au sein d’un film semble donc être assez limitée si on parle de cinéma traditionnel.
Ces dernières années, la 3D a connu un grand succès auprès des réalisateurs. Si lors de son apparition, le potentiel immersif était fort car la technique était nouvelle, aujourd’hui, le public s’y est habitué et son caractère immersif s’est grandement estompé. Finalement, la 3D n’apporte pas grand-chose de plus qu’une projection traditionnelle, si ce n’est un inconfort notable dû à la nécessité d’utiliser des lunettes adéquates. Aujourd’hui la plupart des réalisateurs n’utilisent la 3D que pour son caractère esthétique et non pour son potentiel immersif.
Enfin, s’il est vrai qu’aujourd’hui la vidéo 360° a fait son apparition, son utilisation n’en reste pas moins difficile. Beaucoup de problèmes et d’interrogations se posent face à ce nouvel outil. Comment scénariser un film réalisé en 360° ? Que montrer et où le montrer ? Comment prévoir le regard du spectateur ? Tant d’inconnus qui rendent difficile la maîtrise de cet outil de capture.
3.1.2. Réalité augmentée
Si la RA est une des technologies phares de l’ère numérique, elle n’en reste pas moins au début de son évolution. Comme énoncé précédemment, plusieurs interfaces permettent d’expérimenter la réalité augmentée et chacune d’entre elles possèdent ses avantages et ses inconvénients. Cependant ici, il n’est pas question de traiter les contraintes techniques liées aux appareils, à l’accessibilité de ceux-ci ainsi qu’aux différentes expériences, ou autre problème de sécurité et de confidentialité. Bien que ces mêmes contraintes soient étroitement liées aux limites d’une immersion en réalité augmentée.
Le smartphone est sans aucun doute l’appareil leader sur le marché de la réalité augmentée. Et ce n’est pas le nombre grandissant d’applications développées qui dira le contraire. En revanche, si ces dernières y sont plus courantes, l’appareil en lui-même représente une limite à l’immersion. Les bords qui le constituent forment une barrière qui nous ramène à la réalité en nous rappelant que ce que l’on voit n’est pas complètement réel. On a la présence d’un cadre physique qui impose un regard et délimite brutalement l’espace virtuel de la réalité physique.
En parallèle, il existe aussi un frein similaire au cinéma : la multisensorialité. Difficile à mettre en place si l’on souhaite solliciter les cinq sens. La vision, l’ouïe et le toucher Le toucher est surtout expérimenté avec le tactile du Smartphone. Dans le cas contraire, les développeurs ont eux aussi recours aux illusions haptiques, bien que cela soit plus difficile à mettre en place car il n’existe pas de montage et l’utilisateur reste tout de même libre d’explorer le monde virtuel comme il l’entend. sont stimulés plus ou moins constamment. En revanche, bien que l’on soit capable de créer des odeurs et des goûts factices, il n’en reste pas moins difficile de le proposer lors d’une expérience en réalité augmentée.
3.1.3. Réalité virtuelle
Ici aussi, et bien qu’elles soient étroitement liées aux limites d’une immersion en réalité virtuelle, il n’est pas question de traiter les contraintes liées à l’accessibilité des appareils ainsi qu’aux différentes expériences développées. En revanche, il est difficile d’expliquer les limites de l’immersion sans aborder l’aspect technique des appareils dont les applications sont dépendantes.
Que ce soit à l’aide d’un ordinateur ou d’une console (qui sont les deux appareils les plus populaires), la puissance de calcul de ces outils est une caractéristique primordiale dans l’expérimentation d’une immersion en réalité virtuelle, car c’est cela qui permet d’exécuter l’application de la manière la plus fluide possible, afin de ne pas souffrir de cinétose Le mal des transports ou cinétose est un trouble qui se manifeste dans une situation de discordance entre la perception visuelle et le système vestibulaire. cf. Wikipédia. . Outre la puissance de la machine, c’est le casque en lui-même qui peut s’imposer comme une limite à l’immersion. À l’instar des bords physiques du smartphone pour la réalité augmentée, le poids du casque est un rappel à la réalité physique par la force qu’il exerce sur l’utilisateur, tout comme les câbles qui l’alimentent. Enfin, les manettes qui permettent de se déplacer et d’interagir, s’opposent dans leur conception à une harmonisation avec l’univers virtuel, car la manière que l’on a d’expérimenter le toucher n’est pas, en termes de gestuelle, au plus proche de notre réalité physique.
Finalement, tout comme pour le cinéma et la réalité augmentée, le problème de la multisensorialité se pose. Ici aussi, pas de soucis en termes de vision et d’ouïe. Le toucher et l’odorat sont expérimentés différemment et sont adaptés aux contrôleurs dans certaines expériences. Mais on ne peut pas en dire autant pour le goût, qui semble une fois de plus, difficilement exploitable.
3.2. Perspectives et évolutions de l’immersion technologique
3.2.1. Cinéma


Aujourd’hui, on a vu apparaître les salles ice (Immersive Cinema Experience) qui ont pour objectif d’intensifier l’immersion du spectateur dans l’image. L’idée est d’utiliser les technologies les plus performantes de ces dernières années afin de concevoir la salle de projection la plus optimale en termes d’immersion. Entre l’utilisation du projecteur laser 3 DLP de résolution 4K permettant une précision extrême de l’image, la technologie Dolby Atmos® pour une qualité sonore maximale et une spatialisation bien plus précise, la technologie LightVibes présente pour créer un couloir immersif en agissant sur un angle plus important du champ visuel ou encore avec l’augmentation du confort de l’assise avec des sièges inclinables qui permettent d’avoir une meilleure visibilité de l’écran. Tout est pensé, conçu et agencé afin d’intensifier l’immersion du public.
On observe une volonté d’intensifier l’immersion du public dans l’image en développant les technologies que nous connaissons et par une meilleure simulation des sens. On peut alors envisager l’utilisation de dispositifs divers développés en lien avec la réalisation du film qui stimuleraient nos autres sens. La manière d’expérimenter le cinéma ne cesse d’évoluer et le développement des salles ICE n’est qu’une avancée parmi tant d’autres. Nous assisterons à une utilisation plus précise de cette technique de projection et d’autres verront le jour par la suite comme récemment avec les salles 4DX. Mais aussi peut‑être par l’appropriation de la vidéo 360° et de la RV par le cinéma ?
3.2.2. Réalité augmentée
Si le smartphone est actuellement l’appareil leader dans le domaine de la RA, les différents casques et lunettes en cours de développement pourraient le challenger par la suite et leur perfectionnement aura plusieurs conséquences sur notre immersion. D’une part, la suppression des bords physiques ainsi qu’un champ visuel plus important rendra la virtualisation de l’environnement plus naturelle car aucune frontière ne sera présente pour nous ramener à la réalité physique, d’autre part, ces derniers permettront aussi d’expérimenter la RA dans l’espace public de manière plus stable et plus courante. On imagine facilement que le progrès technologique les dotera de meilleurs capteurs, caméras, capacité et puissance, permettant d’afficher des images virtuelles réalistes au point de pouvoir nous perturber.
Enfin, la possibilité de combiner l’appareil avec des interfaces externes qui augmentent le caractère multisensoriel des applications permettra d’intensifier la sensation d’immersion. Le goût, l’odeur, le toucher, ces sens difficiles à stimuler seront peut-être par la suite au cœur d’expériences immersives ? On peut s’attendre à voir émerger des formes plus diverses usant de ce dispositif immersif, la banalisation de son utilisation fera alors apparaître des applications novatrices impliquant l’utilisateur au cœur d’un univers partiellement virtuel.
Le perfectionnement du Spatial Mapping rendra l’image proposée plus crédible par la cohérence de l’action avec son environnement, rendant unique l’expérience vécue et augmentant la sensation d’immersion au cœur de l’image de l’utilisateur. Il ne serait donc pas étonnant de voir le smartphone perdre sa place de porteur de la technologie, pour la laisser aux différents casques et lunettes qui seront développés.
3.2.3. Réalité virtuelle


Conclusion
Le cinéma, la RA et la RV sont trois dispositifs propres à l’ère numérique qui ont su tirer parti des progrès technologiques pour évoluer. L’image, composante phare partagée par ces derniers, s’est vue acquérir une nouvelle forme au cours du temps. Désormais, elle n’est plus un simple visuel, mais elle est aussi sonore. Alors, si le son est intrinsèque au visuel, on comprend pourquoi il y a un perfectionnement des technologies qui sollicitent ces deux sens. Si le visuel permet de voir l’espace en 3D, d’estimer les distances, ou encore d’avoir conscience de la profondeur, c’est le son qui permet réellement de nous situer dans l’espace. Le caractère multisensoriel est donc déjà présent quoi qu’il arrive dans ces trois dispositifs, de manière volontaire ou non.
De plus, les progrès futurs tendent vers la création de dispositifs plus complets qui permettront aussi la stimulation de nos autres sens (masque, combinaison, salle 4DX, etc…). Le caractère multisensoriel ainsi que la volonté de sa complétude sont donc caractéristiques de ces trois dispositifs et c’est un des éléments qui les dénote le plus du passé. Cependant ce n’est pas le seul, l’interactivité est sans doute ce qui est le plus significatif. C’est l’aspect majeur qui est la source de création de technologies comme la RA et la RV. La volonté de pouvoir agir et interagir avec ce que l’on voit apporte une liberté que les développeurs recherchent pour leurs expériences immersives. Le but étant de créer une ségrégation avec les œuvres à visée contemplative pour tendre vers des œuvres expérimentables.
Alors finalement, peut-on dire que ces trois dispositifs de l’ère numérique permettent réellement d’augmenter les possibilités d’immerger le spectateur au cœur de l’image ? Même si les dispositifs antérieurs apportaient déjà des premières expérimentations d’immersion, il est, selon moi, indéniable que les nouvelles technologies augmentent drastiquement les possibilités immersives au sein de l’image. J’insiste bien sur le terme d’image, il n’est pas seulement question d’immersion, mais bel et bien d’image, c’est-à-dire un environnement visuel qui se déploie devant nous et qui est inhérent à sa composante sonore. Même si la multisensorialité et l’interactivité ne sont pas gage d’immersion, on peut difficilement réfuter qu’elles y contribuent grandement. Cependant, comme on l’a vu, il existe bien des moyens qui permettent aux créateurs, d’imaginer et de concevoir des objets toujours plus intenses en termes d’immersion. Les méthodes de cadrage, le montage, les génériques, les méthodes de projection, la géolocalisation, le Spatial Mapping, les objets virtuels, etc., tant d’outils qui sont à disposition et qui ont vu le jour progressivement depuis notre entrée dans l’ère numérique. Et bien que ces trois dispositifs connaissent certaines limites, les créateurs trouvent des moyens pour jouer avec afin de les contourner et même de s’en servir dans un but immersif. Les avancées futures et les prochaines évolutions des différentes interfaces qui supportent ces trois dispositifs vont ainsi se perfectionner et rendre l’immersion encore plus intenses et plus variées qu’elles ne l’est déjà. Peut‑être dans l’idée de tendre vers cet idéal qu’est l’immersion totale ?